« Toute morale est d'essence biologique »

바깥 2011. 8. 22. 01:03

« Toute morale est d'essence biologique »

Henri Bergson 
Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932)

Par Alban Sumpf

Si vous consultez un prêtre, un psychanalyste ou un penseur rationaliste, la réponse reste toujours la même : avoir une conduite morale, c'est lutter contre ses appétits, réprimer ses pulsions, contrôler ses instincts. Qui oserait réduire l'éthique à de la biologie, ou à une manifestation vitale ? C'est tout le contraire, raison pour laquelle la morale paraît pénible et bien ennuyeuse… Mais voilà qu'Henri Bergson, le sage respecté, l'humaniste, le penseur vedette de l'entre-deux-guerres, conteste cette idée reçue. Dans les années 1930, il semble verser dans la provocation, à la fin du premier chapitre des Deux Sources de la morale et de la religion, en écrivant que «toute morale est d'essence biologique».

Doit-on en conclure que celui qui agit moralement ne fait que suivre des déterminations primaires et corporelles ? On serait alors généreux par instinct, fidèle par nature, sincère par incapacité de mentir. Dès lors, il n'y aurait pas le moindre mérite à se conduire moralement, pas plus qu'à manger quand on a faim. Quant au séducteur impénitent ou à l'avare, il n'aura qu'à répondre qu'il n'y peut rien et qu'il ne fait qu'écouter ses envies et son métabolisme. Ce n'est pas exactement ce que veut dire Henri Bergson. Encore faut-il, prévient-il, «donner au mot biologique le sens très compréhensif qu'il devrait avoir [et] qu'il prendra peut-être un jour».

Il s'agit de considérer la morale comme «l'une des manifestations du principe même de la vie» (bios) d'où elle tire son origine et son «essence».Mais qu'est-ce que «la vie» ? Un «élan vital», une «force créant de façon imprévisible des formes toujours plus complexes», une pulsion impersonnelle créatrice de toutes les réalités, y compris les plus nobles. La morale a beau être enracinée dans la «vie» et dans des dispositions innées, elle se distingue de bien d'autres manifestations «biologiques», plus primaires et moins élaborées.

Alors, la morale est-elle sauve ? La voici à nouveau respectable, parée de toutes les vertus et réservée à l'homme. Mais il y a là une différence de degré, et non plus de nature, entre la pulsion primaire et sa maîtrise. Même s'il représente le seul être capable de morale, l'homme reste essentiellement un animal vivant. D'ailleurs, cette morale biologique est bien moins réactive et triste que la morale répressive : elle est un accomplissement de la vie, et non de la mort. Ainsi, lorsque nous renonçons à convoiter la femme d'un ami en réprimant une envie sexuelle (elle aussi biologique), c'est en vertu d'un principe à la fois moral et «biologique» : nous veillons ainsi à notre conservation, au bon équilibre des forces en nous. Plus notre conception de la vie sera ample, plus nous pourrons être à la fois moraux et vitalement accomplis. D'accord, Bergson est moins provocateur qu'on pouvait le croire, mais sa morale de la vie est une promesse d'épanouissement.

 

Alban Sumpf

 

Henri Bergson en 6 dates

1859. Naissance à Paris.

1900. Nommé professeur au Collège de France.

1907. Publication de L'Évolution créatrice.

1917. Mission diplomatique auprès du président Wilson, pour convaincre les Américains d'entrer en guerre aux côtés de la France.

1927. Prix Nobel de littérature.

1941. Mort d'un refroidissement pulmonaire.

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